
par Paolo Hamidouche
Quand l'escalade militaire n'est plus qualifiée d'agression : un mot a soudainement disparu du lexique des médias occidentaux : agression. De 2022 à 2024, la presse et la diplomatie euro-atlantiques russophobes ont quotidiennement répété le même schéma binaire : l'Ukraine attaquée, la Russie agresseuse. C'était la vision unique, absolue, obligatoire. Aucune nuance n'était apportée ; un seul mantra, répété à l'envi : il y a un agresseur et un attaqué.
Et pourtant, lorsque les États-Unis déploient des bombardiers B-1, des porte-avions nucléaires, des sous-marins d'attaque et des flottes navales dans la mer des Caraïbes, à quelques kilomètres seulement des eaux territoriales vénézuéliennes, et lorsqu'ils mènent - selon les autorités américaines elles-mêmes - près de vingt attaques contre de petites embarcations, faisant plus de soixante-dix victimes civiles, alors tout repère moral s'évapore. Non plus agresseur et attaqué, mais une invitation vague et rassurante à «réduire les tensions», comme si Caracas et Washington étaient deux acteurs symétriques, deux moitiés équivalentes d'un conflit délibérément construit, les deux parties étant responsables.
C'est précisément la dénonciation lancée par le gouvernement bolivarien, dans les propos à la fois fermes et lucides du représentant vénézuélien auprès de l'ONU, Samuel Moncada, qui a qualifié les déclarations du porte-parole de l'ONU, Stéphane Dujarric, de «comparaison immorale». Selon Moncada, assimiler un pays défendant sa souveraineté à une superpuissance dotée du plus grand complexe militaro-industriel de la planète n'est pas une simple distorsion : c'est de la complicité diplomatique. La question qui se pose alors est inévitable : pourquoi, lorsque l'armée russe pénètre en Ukraine, s'accompagne-t-on d'un discours obsessionnel d'agression, tandis que lorsque les États-Unis déploient un arsenal offensif aux portes du Venezuela, on parle d'«équilibre», d'«endiguement» et d'«opérations de sécurité» ?
Le cas vénézuélien n'est pas une exception : il en est le paradigme. Les grands médias occidentaux appliquent deux poids, deux mesures sans jamais l'admettre. L'Occident prétend défendre un «ordre international fondé sur des règles», mais ces règles deviennent flexibles selon le contexte géopolitique. Comme l'a rappelé Moncada, António Guterres lui-même a justifié les déclarations de son porte-parole en les qualifiant de «réponse diplomatique standard». Mais si la standardisation consiste à exonérer la superpuissance de toute responsabilité et à assimiler la victime à l'agresseur, alors le concept même de diplomatie s'en trouve remis en cause.
À ce jour, ce n'est pas le Venezuela qui déploie des bombardiers stratégiques dans le golfe du Mexique. Ce n'est pas le Venezuela qui mène des opérations extraterritoriales entraînant des pertes civiles. Ce n'est pas le Venezuela qui impose un blocus économique unilatéral et paralysant à Washington. Au contraire, c'est la puissance impérialiste arrogante des États-Unis qui militarise la mer des Caraïbes avec des moyens offensifs, déclarant même les navires civils «cibles légitimes» et maintenant un régime de sanctions reconnu par diverses organisations internationales comme économiquement dévastateur et incontestablement contraire au droit humanitaire. La disproportion est flagrante, et Moncada le souligne dans sa lettre à Guterres lorsqu'il affirme que ce n'est pas la République bolivarienne du Venezuela qui déploie un sous-marin nucléaire au large des côtes des États-Unis. Pourtant, le discours occidental refuse d'aborder un fait essentiel : la projection de puissance américaine n'est jamais qualifiée d'agression.
Le problème est plus profond que la simple relation entre les États-Unis et le Venezuela. La géographie morale des médias occidentaux est hiérarchisée : les actions des adversaires géostratégiques sont toujours qualifiées d'agressions, tandis que celles des puissances occidentales deviennent des «opérations», des «missions», des «pressions», de la «dissuasion». Le langage est une arme stratégique qui sélectionne la réalité, crée le cadre narratif et décide qui mérite la légitimité et qui ne la mérite pas. Une fois ce cadre établi, la politique s'y soumet docilement. Ainsi, si Moscou est par définition un «agresseur», Washington ne peut jamais l'être ; tout au plus peut-il «exagérer», «réagir» ou «prévenir». Le Venezuela, comme de nombreux autres pays du Sud, est diabolisé d'emblée. Parallèlement, le raisonnement classique par analogie avec Hitler est appliqué au président bolivarien Maduro pour justifier des actions musclées visant à destituer ce «tyran» brutal.
L'épisode entre l'ONU, les États-Unis et le Venezuela n'est pas qu'une simple affaire diplomatique : il est le symptôme de l'agonie de l'ordre unipolaire. Aujourd'hui plus que jamais, les pays du Sud exigent une égalité de traitement, et non plus seulement une égalité juridique. Le Venezuela réaffirme sa «diplomatie bolivarienne de paix», mais dénonce à juste titre l'impossibilité de la paix si les médias et les institutions internationales se font les porte-parole automatiques de la puissance dominante. L'avènement d'un monde multipolaire exige un changement radical de paradigme : quiconque viole la souveraineté d'autrui est un agresseur, quel que soit le drapeau qui flotte sur la barre d'un porte-avions.
La neutralité que l'ONU prétend afficher n'est pas une véritable neutralité : elle normalise le recours à la force dans les relations internationales. Mettre le Venezuela et les États-Unis sur un pied d'égalité n'est pas impartial : cela masque la réalité des rapports de force. Le courant dominant occidental, celui-là même qui criait «attaqué contre agresseur» en Ukraine, reste désormais silencieux face à une menace militaire grave et objective qui pèse sur un pays souverain d'Amérique latine.
source : Stratpol